Quelle Ville pour demain ? (Épisode 1)
La ville de demain à l’épreuve de la technologie.
Smart City, ville intelligente ou intelligence de la ville ?
Alors que nous faisons aujourd’hui face à une multitude de défis, aussi bien sanitaires que socio-environnementaux, il est devenu indispensable et urgent de revoir notre manière de penser la ville, mais aussi d’y vivre et d’y fonctionner en société.
Toulouse Métropole a mandaté COMM1POSSIBLE pour mener une enquête qualitative auprès de 55 acteurs de l’écosystème de la Smart City afin d’établir le bilan des cinq années de travail autour du projet l’Open Métropole, mais surtout de récolter leur vision d’avenir pour la Ville de demain et de concevoir de manière collaborative la prochaine feuille de route 2021-2026 de la Smart City Toulouse.
Au travers de cette série d’articles, nous avons souhaité partager au plus grand nombre les enjeux et les questionnements qui sont ressortis de l’enquête comme fondamentaux pour la construction collective de la ville de demain.
La technologie et la Data occupent une place absolument centrale dans le concept de la Smart City telle qu’il a été développé et mis en place dans un grand nombre de ville, dont Toulouse fait partie. Cependant cette démarche semble être remise en cause pour son aspect trop technocentré. Une grande tendance tend en effet à préférer une approche numérique la plus sobre possible et où la technologie est vu comme un levier d’intelligence profitable à tous.
Une remise en cause de l’approche Smart City
« Smart City, cela renvoie à un modèle très fantasmé, celui des acteurs de la Silicon Valley », nous déclare Emmanuel Eveno, Enseignant chercheur et professeur à l’Université Toulouse Jean Jaurès. Dans l’esprit général, l’expression Smart City est effectivement fortement liée à l’univers technologique (Data et outils numériques), voir même à un côté slogan marketing de la ville. La technologie semble pour beaucoup être parfois trop mise en avant par les villes or, la finalité ne doit pas se trouver dans la technologie en elle-même, mais dans la construction d’une ville mieux pensée pour le bien-être et l’expérience du citoyen. Les technologies de la Smart City ne sont alors vues que comme un moyen, un levier permettant de composer au service des habitants et de répondre intelligemment aux enjeux sociaux, environnementaux et économiques.
« Est-ce que ça devient smart maintenant parce qu’on a mis des technologies, que ça impliquerait que c’était stupide avant ? Quand on connaît l’histoire de la ville on sait qu’il y a énormément d’intelligences qui ont été développées depuis l’Antiquité au moins », nous confie Yann Ferguson, Docteur en sociologie et enseignant-chercheur à l’ICAM de Toulouse.La technologie ne doit donc pas être vue comme la source systématique de l’intelligence, cela reviendrait à se priver de beaucoup d’autres possibilités de construction de la ville.
Bien plus que dans l’innovation technologique, l’intelligence peut notamment s’observer dans le vivant, c’est ce que nous explique Hugo Bachelier, Ingénieur au Ceebios (Paris) : « Pour moi Smart est beaucoup plus tourné vers le vivant, le vivant est Smart, les technologies, pas obligatoirement. Le vivant est extrêmement connecté, il traite énormément d’informations. »
L’heure de la sobriété numérique
« La Smart City, de mon point de vue, ne doit pas être une stratégie. Le but, c’est la vision politique, c’est la vision sociale, c’est quelques valeurs fondamentales, par exemple la solidarité, la coopération, ensuite on prend tous les axes d’un projet et on se demande dans quelle mesure ces projets sont des moyens pour atteindre ces valeurs. », affirme Yann Ferguson. Il y a aujourd’hui une volonté certaine de se réunir autour d’un projet commun, avec une direction claire et des visées avant tout sociales et environnementales en se focalisant sur les besoins des habitants.
Cette réflexion amène à reconsidérer la technologie et sa place dans la construction de la ville, comme nous l’explique Raphaël Catonnet, Directeur Général d’Oppidéa et Europolia : « La démarche Smart City gagnerait à se libérer du mot Smart City qui l’enferme un peu trop dans un aspect tech. Moi je pense qu’au fond les solutions robustes sont plutôt low-tech. Revenons à des choses assez simples, économes en ressources, économes en énergie. »
Ainsi, le numérique peut s’avérer très puissant quand il est adossé à des valeurs et quand il répond à des usages réels sur le territoire, mais il n’est pas systématique car les alternatives moins technologiques peuvent être parfois plus puissantes et bien plus en phase avec le contexte environnemental actuel.
La Data : une opportunité pour tous
« Pour moi Open c’est une invitation, ce n’est pas des frontières fixes, c’est donc de voir les informations et les données comme un bien commun, pas comme une information privilégiée à retenir. », nous rapporte Samantha Slade, Cofondatrice du réseau international Percolab. Les données se présentent comme une ressource précieuse, c’est pourquoi l’enjeu d’Open Data devient particulièrement important. Il serait en effet nécessaire de considérer la donnée comme une richesse à partager et à mettre en circulation à grande échelle.
« Je crois que s’il y a un enjeu à ne pas oublier et peut-être à mettre au premier plan c’est vraiment expliquer à tout un chacun ce que l’on va faire de ces données, quelles sont ces données, nous déclare Yvan Astier, Directeur Sud-Ouest du Cerema. « Il faut qu’on ait un consentement éclairé des citoyens. ». Les citoyens ne semblent en effet pas assez sensibilisés au potentiel et aux limites de l’utilisation de la Data, ce qui peut amener une certaine réticence : « Je vois vraiment un parallèle entre la Smart City et l’intelligence artificielle, c’est quelque chose qui fait peur », nous dit Alexia Audevart, Directrice générale de Datactik.
Cette ouverture des données demande par conséquent une démocratisation et une éducation à la donnée pour que l’appropriation et l’émancipation soient possibles pour tous. Le deuxième volet qui ressort de l’idée de l’Open Métropole est donc celui de l’ouverture démocratique comme le souligne Hubert Beroche : « Il y a aussi le coté Open peut-être un peu plus démocratique au sens d’une ville inclusive, d’une ville qui est ouverte à tous. Et ce qui est intéressant c’est que ces deux Open là, l’Open technologique et l’Open démocratique peuvent entrer en conflit. »
On peut alors penser qui si la ville réussit à concilier l’Open Data et l’Open démocratie, le citoyen pourrait alors retrouver une plus grande autonomie et acquérir des leviers d’action le rendant plus à même de participer à la construction de la ville de demain.
La technologie comme levier d’intelligence
La technologie et les données restent des leviers importants à questionner, à maîtriser et à utiliser intelligemment pour servir le projet de la ville de demain. « Il y a plein d’applications possibles, on va pouvoir optimiser l’éclairage public avec des capteurs, on va pouvoir optimiser nos consommation d’énergie. A terme, l’objectif de tout ça, ça va être de créer une ville où on se sente mieux, avec un meilleur impact écologique, environnemental. », nous déclare Alexia Audevart. La Data a donc grand intérêt à être mise au service de l’urbanisme pour optimiser notre expérience de la ville et la consommation énergétique de cette dernière. Dès lors, cela suppose un fonctionnement en Smart Grids (réseaux interconnectés) afin de faire circuler entre les différents acteurs et secteurs les informations utiles à cette optimisation globale.
« Là où Toulouse doit se placer de manière intelligente, c’est justement savoir utiliser cette donnée autour de valeurs : la collaboration, la solidarité, l’éco responsabilité et l’éthique », souligne Magali Germonds, Responsable Data Science et IA chez Axiodis. L’utilisation effective de la Data est un réel enjeu stratégique et ce souhait de la voir dans une finalité avant tout responsable et éthique implique également de renverser l’approche actuelle qui consiste à emmagasiner des données pour en extraire des usages. Au contraire, comme: « L’approche Smart city pour moi, il faut retourner le truc, c’est reconnaitre la valeur des usages, puis créer les outils qui les exploitent de telle manière que ça sert à une politique publique. Donc c’est justement la différence entre un usager et un client. », nous explique Boris Seguy, Contributeur Happy Dev, Réseau de travailleurs indépendants spécialisés dans le numérique.
Pour l’avenir, la technologie n’apparaît que comme un moyen parmi tant d’autre de faire évoluer la Smart City et son usage doit tendre à être le plus sobre possible, en faveur d’une approche plus humaine et respectueuse de l’environnement. Malgré tout, les données s’avèrent être une grande opportunité pour fabriquer la ville et doivent par conséquent s’ouvrir à tous. Et si le travail collectif devenait la plus grande preuve d’intelligence pour la ville de demain ?
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